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Les Demoiselles du Puits

Publié le samedi 6 février 2016

Jadis, le Royaume de Logres était riche et prospère. Dans ce royaume se trouvait une source, gardée par des Demoiselles. Tout voyageur qui traversait cette contrée pouvait faire une halte et trouver auprès des Gardiennes du Puits, la paix, la quiétude et la sérénité avant de reprendre le chemin. Cependant il devait observer une seule courtoisie : respecter l’intimité de ces jeunes filles lors de leur toilette sacrée.

Malheureusement le charme fut brisé par le Roi Amangon, imité à sa suite de ses vassaux. Le roi Amangon violenta l’une des jeunes filles et lui déroba sa coupe d’or, poussé par la curiosité et le manque de confiance «  dans la générosité spontanée que pouvait prodiguer une terre sans rien demander en retour. Il les avait surprises caché derrière un mur de végétation de ronces et de lierres. Il connut à ce moment là, la frayeur qui frôle la beauté et le mystère. Dans l’eau de la source, les demoiselles procédaient à leurs lustrations. Peignant leurs interminables chevelures couleur de blé mûr, faisant ruisseler de l’eau sur les courbes blanches de leurs épaules et effleurant leurs seins ronds. Le roi ferma les yeux, enivré par la scène et le chant que semblait entonner la source.
A les contempler, le roi se posa de graves questions sur la différence radicale qui sépare l’homme de la femme. Il fut contraint de reconnaître que le corps de l’Homme, son amour fait de désir, de force, de plaisir et de conquête ne suffiraient jamais à ces femmes, à la Femme. Car celles-ci avait soif d’autre chose, d’un au-delà du désir et du plaisir. Dans cette source, se croyant à l’abri de tout regard, ces femmes se passant l’une à l’autre la vasque d’or, le Graal, savouraient un bain d’âme, c’était une effusion de tout l’être qui ne se limitait pas aux sens mais qui passait par eux. De cet instant, le roi estimé, puissant, fut déchu : de la femme il ne saurait jamais rien. Insondable et fuyante comme l’eau, elle lui échapperait toujours dans ce qu’elle recèle de plus précieux. Aucune étreinte amoureuse ne dévoilerait ce secret. Alors le roi commis l’innommable et s’empara de la coupe d’or
1 »
La source se tarit et la contrée fut frappée de sécheresse. Le Royaume devint une terre dévastée (gaste), le chemin qui menait au château du Riche Roi Pêcheur s’effaça.

Ainsi, autrefois la communion avec la souveraineté de la terre était possible. En buvant l’eau de ces sources sacrées offerte par les gardiennes des puits, les chercheurs pouvaient trouver l’union avec l’autre monde que l’on nomme aussi le paradis perdu, le jardin de joie.

Tous les mythes font référence à cet âge d’or disparu. Selon les archéologues et leurs découvertes, cet âge d’or correspondrait, dans notre histoire que certains veulent absolument linéaire, à une période de la Préhistoire comprise entre le Néolithique et le Chalcolithique. Ces peuples maîtrisaient déjà certains alliages et pouvaient fabriquer des outils pour donner la mort ou favoriser la vie. Ces communautés d’hommes et de femmes firent le choix de servir la vie. Pacifiques, ils rendaient hommage à la Terre, en témoignent les petits autels, les coupes qui furent retrouvés. Cet âge fut celui du partage, de la coopération et de l’équité. « Mais cet âge d’or a-t-il une vérité historique avérée ? N’est ce pas en grande partie le regard que portent sur un âge ancien les hommes qui vivent à une époque plus récente ? 2 »

La fin de cet âge d’or se fait écho dans le mythe du Graal. Dans la tradition chrétienne, c’est la version d’Adam et Eve qui furent chassés du Jardin de l’Eden. Il n’appartient qu’à nous de restaurer ce chemin.


↑ 1 • La Déesse Nue, Jacqueline Kelen, ed Seuil, 2000

↑ 2 • Florence Planells-Benjumea, artiste peintre et graveuse, Californie.